Marcel Broodthaers

En 1968, avec Le corbeau et le renard, Marcel Broodthaers échangeait le format habituel de l'oeuvre d'art plastique comme objet singulier contre le format d'une oeuvre composée se déployant dans le temps et dans l'espace. Non pas que les oeuvres qu'il avait montrées jusque là pussent apparaître si familières au spectateur contemporain. Objets composés de morceaux de charbon, vieilles armoires repeintes, coquilles d'oeuf vides collées sur toile et miroir, coquilles de moules vides tassées dans des casseroles peintes ou collées sur des panneaux, fragments de maçonnerie, ou de la ouate en pots de confiture,... Toutes ces oeuvres ne répondaient pas nécessairement au modèle attendu de l'oeuvre d'art. Mais depuis Duchamp et Dada, le public s'attendait bien à quelque chose. Avec Le corbeau et le renard, Marcel Broodthaers inaugure un nouveau format d'oeuvre d'art. Il le fait même littéralement puisqu'il s'agit d'une oeuvre composée de différentes unités. Le spectateur découvre cette oeuvre par couches, de la première prise de connaissance avec la boîte ou la farde jusqu'à l'installation d'écran et projecteur de 16 mm. En étalant le développement et le déploiement de la signification de l'image dans le temps, Marcel Broodthaers réussit pour la première fois à intégrer les qualités spécifiques de son bagage artistique d'écrivain dans son oeuvre plastique. Puisqu'au musée, l'oeuvre est déployée et dévoilée d'avance, plus encore que la Boîte en valise de Duchamp, il s'agit ici d'un exemple par excellence de la vengeance imposée par le musée sur l'oeuvre ouverte et exploratoire qui implique le spectateur dans son développement. Il ne faut donc pas être surpris que Broodthaers ait créé son propre Musée d'Art Moderne Département des Aigles au cours de la même année 1968.